L'Ecole, l'église et l'Etat : relisons notre histoire
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2005 : date anniversaire de la loi de séparation de l'église et de l'état. Un retour sur l'histoire permet de comprendre le contexte.
D'après le dossier du Frère Hilaire Nourisson, de la congrégation des Frères de Ploërmel.
A la mi-décembre 2000, dans un colloque sur la laïcité, Mgr Claude Dagens, évêque d'Angoulême, déclarait : " En ce qui concerne notre situation de catholiques dans la société française, il faut reconnaître que nous revenons de loin. Dans notre inconscient collectif, nous portons la trace des crises et des brisures qui ont marqué notre histoire ".
Il y a un siècle, en effet, l'application restrictive d'une loi de la République française votée et appliquée dans un climat d'anticléricalisme exacerbé, frappait d'ostracisme des milliers de citoyens, hommes et femmes, au motif d'appartenir à une congrégation religieuse.
Vingt ans plus tôt, la jeune Troisième République lançait une tenace offensive de laïcisation des grands services de l'Etat : école, armée, magistrature et hôpitaux.
En ce début du XXe siècle, l'élan des congrégations religieuses était atteint de plein fouet : leurs œuvres menacées de disparition, leurs biens spoliés, leurs membres condamnés à la clandestinité ou à l'exil.
Le temps a fait son œuvre et érodé bien des passions mais prenons le temps de relire ces évènements.
Le contexte
Tout au long du XIXe siècle, une lutte d'influence et de pouvoir s'exerce entre l'Eglise et l'Etat, en particulier dans le domaine scolaire.
(Cf. Quelques événements déterminants : Concordat de 1801 ; révolution de 1830 ; loi Falloux de 1850).
La montée du laïcisme se précise à partir de 1875 et va se traduire en offensive politique avec la victoire des Républicains aux élections législatives de janvier 1879.
A cette époque, beaucoup d'écoles de frères ou de religieuses sont communales, les instituteurs étant alors payés par les municipalités.
La loi du 18 mars 1880
Le 7 juillet 1879, la Chambre des députés vote favorablement une loi déposée par Jules Ferry, ministre de l'Instruction publique. Un article y précise que l'Etat se réserve désormais la collation des grades universitaires ; un autre (article7) interdit tout enseignement et toute direction d'école aux membres des congrégations non autorisées.
A cette époque, seules 5 congrégations masculines sont " autorisées " :
- Les Frères des Ecoles chrétiennes
- Les Lazaristes
- Les Missions étrangères
- Les Pères du Saint-Esprit
- Les Sulpiciens
Le 18 mars 1880, cette loi est adoptée définitivement par le Sénat, sauf l'article 7.
Le 29 mars 1880, Jules Ferry contre-attaque en publiant deux décrets ministériels effectifs dans les trois mois : - Expulsion des jésuites hors du territoire français.
- Obligation pour les congrégations, sous peine de dissolution, de demande d'autorisation.
Le premier décret est appliqué ; le deuxième ne l'est qu'envers certaines abbayes à l'automne 1880 ; il suscite tellement de polémique et de réactions dans le pays qu'il est bientôt enterré.
Les lois de laïcisation
28 mars 1882 : lois FERRY (laïcisation des locaux et des programmes)
Les éléments majeurs de ces lois sont : - L'instruction primaire est obligatoire de 7 à 13 ans.
- L'école publique devient neutre et gratuite.
- L'instruction morale et civique remplace l'enseignement religieux.
Les ministres des cultes n'ont plus la possibilité d'entrer dans l'école (mesure en contradiction avec le Concordat).
Ces lois sont appliquées avec prudence, modération et souplesse, surtout dans les zones rurales à forte implantation catholique.
Elles ont surtout pour conséquence la création de nombreuses écoles libres.
30 octobre 1886 : loi GOBLET (laïcisation des personnels).
Dans les écoles publiques, les enseignants congréganistes sont remplacés par des personnels laïcs sous un délai de cinq ans.
La nomination des instituteurs est du ressort du préfet.
Aucun ecclésiastique ne peut faire partie des commissions scolaires.
N.B. : Un article de cette loi interdit aux municipalités tout investissement en faveur d'une école primaire libre (article toujours en vigueur).
A partir de cette date, plusieurs congrégations fondent des œuvres hors de France.
Les lois de sécularisation
Contexte :
L'affaire DREYFUS qui, au début, n'est que le procès d'un officier accusé de trahison prend, au cours des années 1894-1899, des proportions surprenantes qui divisent le pays en deux. Les outrances des Pères assomptionnistes dans leurs publications attisent la haine anticatholique au sein des loges franc-maçonniques notamment. Le " Bloc des Gauches " arrive au pouvoir en 1995 pour " assurer la défense républicaine "..
1° juillet 1901 : loi sur la liberté d'association.
Cette loi, bien connue, de Waldeck-Rousseau comporte en fait deux parties : la première, très libérale, confère aux associations une liberté jusqu'ici jamais connue ; mais le titre III vise les congrégations et leur applique des mesures d'exception très restrictives.
Toutes les congrégations doivent demander une autorisation légale. A défaut d'autorisation, elles seront dissoutes et leurs biens confisqués par l'Etat (cf. l'article 18 reproduit partiellement ci-dessous).
Article 18 :
Les congrégations existantes au moment de la présente loi, qui n'auraient pas été antérieurement autorisées ou reconnues, devront, dans le délai de trois mois, justifier qu'elles ont fait les diligences nécessaires pour se conformer à ses prescriptions.
A défaut de cette justification, elles seront réputées dissoutes de plein droit. Il en sera de même des congrégations auxquelles l'autorisation aura été refusée.
La liquidation des biens détenus par elles aura lieu en justice. Le tribunal, à la requête du ministère public, nommera, pour y procéder, un liquidateur qui aura pendant toute la durée de la liquidation tous les pouvoirs d'un administrateur séquestre.
Le 9 juin 1902, Waldeck-Rousseau démissionne pour raison de santé ; le nouveau président du conseil, Emile Combes, va conduire une politique acharnée de lutte contre les congrégations. Il fait voter une nouvelle loi qui complète la loi précédente dans le domaine pénal.
4 décembre 1902 : loi des pénalités.
Est frappé d'amende ou de prison : - Quiconque ouvrirait sans autorisation un établissement scolaire congréganiste.
- Toute personne qui après ordonnance de fermeture continuerait les activités de l'établissement ou en favoriserait l'organisation ou le fonctionnement.
Demandes d'autorisation :
Sur 150 congrégations masculines, - 64 déposent une demande d'autorisation,
- 86 refusent.
sur 601 congrégations féminines, - 532 déposent une demande d'autorisation,
- 69 s'abstiennent.
Le 18 mars 1903, la Chambre des députés refuse en bloc toutes les autorisations, par 300 voix contre 257.
Par ce vote, les congrégations, hormis les 5 reconnues légalement, sont dissoutes, leurs établissements fermés, leurs biens confisqués et leurs membres chassés de leurs maisons et " sécularisés " .
Le 7 juillet 1904, une dernière loi achève le dispositif anti-congréganiste.
Emile Combes fait voter une loi qui interdit " l'enseignement de tout ordre et de toute nature " aux congréganistes, en raison de leur seule appartenance à une congrégation.
Cette loi vise les 5 congrégations restantes, en particulier les Frères des Ecoles chrétiennes, forts de près de 10 000 membres.
De cette date, pour des milliers de frères, vient le temps difficile de la clandestinité en France ou le départ vers d'autres pays d'Europe voire d'autres continents.
La loi de séparation des Eglises et de l'Etat
Le 9 décembre 1905, le député Aristide Briand fait voter la loi concernant la séparation des Eglises et de l'Etat.
Elle met ainsi fin au Concordat de 1801.
Elle proclame la liberté de conscience et garantit le libre exercice des cultes.
Les biens (les églises, les presbytères,…) deviennent propriété de l'Etat. Celui-ci se réserve le droit de les transférer aux associations cultuelles qui peuvent en jouir gratuitement.
A la lecture de ce résumé des lois et des événements et au regard de la vitalité de nos écoles aujourd'hui nous pouvons mesurer la ténacité de nos fondateurs qui nous ont permis de continuer cette œuvre d'éducation en toute liberté.
"L'Enseignement catholique assume avec conviction et reconnaissance l'héritage d'un passé dont il peut être fier. Des fondateurs et des pionniers ont tracé en des périodes lointaines ou proches les chemins d'une formation et d'une éducation toujours plus adaptés aux besoins de la jeunesse. Celle-ci a été façonnée par les évolutions successives auxquelles elle a été confrontée. Les solutions novatrices n'ont pas manqué. Nos aînés en ont puisé l'inspiration dans leur foi et la certitude que tout être humain est appelé à vivre en Fils de Dieu, en frère de ses semblables." Mgr Jean-Paul JAEGER.