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Textes à méditer : Poésie, prière (de la poésie à la prière)

Temps de lecture : 7 minutes
Textes à méditer : Poésie, prière (de la poésie à la prière)

Il meurt lentement ; Je marcherai ; L'écoute silence ; Pourquoi cette feuille ? ; Midi septembre ; Tutoyer le mystère

Pourquoi ce choix de poèmes ? Nous avons pensé que bien des poèmes peuvent nous ouvrir à  la prière. La communication qui convient à l’esprit est celle qui ne donne rien directement. « La vérité n’est pas un objet mais un lien entre deux personnes. La Parole du Christ dans l’Évangile est chargée d’images, avec ce qu’il faut d’énigme pour que le chemin se fasse dans la tête de son interlocuteur. C’est l’origine de toute poésie vraie : il faut que quelque chose manque pour espérer goûter à un peu de plénitude. » (Christian Bobin).
Vous découvrez à votre tour des poèmes qui ouvrent au mystère. Faites-les nous parvenir…


Il meurt lentement

Il meurt lentement
celui qui ne voyage pas,
celui qui ne lit pas,
celui qui n’écoute pas de musique,
celui qui ne sait pas trouver
grâce à ses yeux.

Il meurt lentement
celui qui détruit son amour-propre,
celui qui ne se laisse jamais aider.

Il meurt lentement
celui qui devient esclave de l’habitude
refaisant tous les jours les mêmes chemins,
celui qui ne change jamais de repère,
ne se risque jamais à changer la couleur de ses vêtements
ou qui ne parle jamais à un inconnu.

Il meurt lentement
celui qui évite la passion
et son tourbillon d’émotions
celles qui redonnent la lumière dans les yeux
et réparent les cœurs blessés.

Il meurt lentement
celui qui ne change pas de cap
lorsqu’il est malheureux
au travail ou en amour,
celui qui ne prend pas de risques
pour réaliser ses rêves,
celui qui, pas une seule fois dans sa vie,
n’a fui les conseils sensés.

Vis maintenant !
Risque-toi aujourd’hui !
Agis tout de suite !
Ne te laisse pas mourir lentement !
Ne te prive pas d’être heureux !

Pablo Néruda


Je marcherai

Je marcherai sous le soleil trop lourd,
sous la pluie à verse ou dans la tornade.
En marchant, le soleil réchauffera mon cœur de pierre ;
la pluie fera de mes déserts un jardin.
A force d’user mes chaussures, j’userai mes habitudes
Je marcherai et ma marche sera démarche.
J’irai moins au bout de la route qu’au bout de moi-même.
Je serai pèlerin.
Je ne partirai pas seulement en voyage.
Je deviendrai moi-même un voyage, un pèlerinage.

Jean Debruynne


L'Écoute silence

Écoute ce que dit le vent
quand il ne dit plus rien
mais reprend son souffle et se souvient
d’avoir été si haletant après sa course.
Que dit le vent après sa course ?
Que dit le silence du vent ?

Écoute ce que dit la pluie
quand un instant elle fait halte
et cesse l’espace de trois mesures
de tambouriner ses doigts d’eau
sur le toit et sur les carreaux.
Que dit la pluie quand elle se tait ?
Que dit le silence de la pluie ?

Écoute ce que dit la mésange nonette
quand elle suspend ses roulades
et que son chant dans le matin clair
reste en filigrane dans l’air.
Que dit l’oiseau quand il se tait ?
Que dit le silence de la mésange ?

Le silence dit que le silence
écoute couler la source du chant.

Claude Roy


Pourquoi cette feuille ?

A un détail près
le monde n’a pas changé
en si peu de temps.
A un détail près
ce matin est une réplique
grisaille à l’appui
du précédent.
A un détail près
le poids écrasant la poitrine
ne s’est pas allégé d’un iota.
A un détail près
l’on se sent toujours vivant
un peu plus
un peu moins.
Le même équilibre
fragile ou non.
A un détail près
celui de cette petite question entêtante :
Pourquoi cette feuille ni plus jaune ni plus verte que les autres
est-elle tombée de l’arbre ?

Abdellatif Laâbi (poète marocain)


Midi septembre

Un coq chante au loin.
Un pommier ploie
tranquille sous sa charge.

Personne aux champs.
C’est dimanche.
Les pailles brisées brillent
sur le chemin.

Les brumes dorées dansent
sur l’horizon.
Les oiseaux se taisent
aux lisières, derrière
un frémissement de feuilles.

Jean Grosjean


Tutoyer le mystère

On sait si peu
le nom de Dieu,
seulement qu’il est
la question
et parfois une parole
au bout du silence.
On veut parler
et ce n’est déjà plus lui
que les mots emmènent.
Mais on parle
et c’est une trace.
Un jour pourtant,
On risque un
« me voici ! »
C’est donc
que la rencontre a eu lieu
et que l’on consent enfin
à tutoyer le mystère !

Francine Carillo

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