Le silence
Temps de lecture : 22 minutes
Faut-il avoir peur du silence ? Faut-il exiger le silence ? Le bavardage est-il à proscrire ? Comment apprendre le silence ? La leçon de silence, la minute de silence.
Dossier actualisé par Yvon Garel le 21 juin 2012 et le 18 janvier 2016
Les vertus du silence en pédagogie
"A l’heure du "zapping" généralisé et bruyant, on ne saurait trop rappeler, notamment à l’école maternelle, les vertus du silence en pédagogie. La pause, ce moment suspendu, n’est en rien un moment de vide. C’est tout au contraire un espace de ressourcement, de préparation et de réflexion. Le silence investit la sérénité, la concentration, voire – et ce n’est pas à négliger – la contemplation. La médiation par le silence, par exemple lors de l’entrée en classe ou entre deux activités, est l’occasion de se retrouver, de relancer la concentration, de positionner le temps – et même le lieu - de l’apprentissage". Extrait du rapport d’Alain Bentolila "la maternelle : au front des inégalités linguistiques et sociales" commandé par Xavier Darcos, ministre de l’Éducation nationale, 20 décembre 2007.
Du silence à la concentration
Lire sur sitEColes : Chut…faites attention…C’est important.
Une activité en silence
Alain Bentolila parle de "sérénité", de "contemplation", d’"espace de ressourcement". Et si nous proposions un quart d’heure de silence où personne ne dit rien (ni les élèves, ni l’enseignant) mais où chacun se concentre sur une activité… Il peut même être intéressant d’interroger les enfants sur le ressenti et les effets de ce temps.
Quand les enfants s’expriment, ils nous disent tant de choses :
"Le silence, ça nous repose.
J’aime bien quant on lit des livres en silence, ça fait du bien.
Quand je suis toute seule, je n’aime pas trop le silence. Ça fait un peu peur.
En classe, quand on travaille, j’aime bien le silence." (Eva)
"Le silence
Moi, j’aime bien le silence
sauf une chose qui n’est pas bien dans le silence,
c’est quand la maîtresse dit "Silence !!!"
On a besoin du silence quand on travaille, quant on lit,
Et surtout pour écouter la maîtresse.
Le silence, c’est comme une balance, (ça change tout le temps)." (Augustin)
Lire sur sitEColes : quand les enfants s'expriment sur le silence... .
La leçon de silence
Le silence
"J’entrai un jour en classe en tenant dans mes bras une petite enfant de quatre mois que j’avais prise dans la cour, des mains de sa maman. Le petit bébé était tout serré dans ses langes, comme il était d’usage dans le peuple : il ne pleurait pas : sa figure était joufflue et rose. Le silence de ce petit être me fit une grande impression et je voulus communiquer mon sentiment aux enfants : "elle ne fait aucun bruit", dis-je ; et j’ajoutai, en plaisantant : "Aucun de vous ne saurait être aussi silencieux" (je leur montrai que la petite avait les pieds emmaillotés et serrés). Il y eut une véritable stupéfaction chez les enfants qui me regardèrent, immobiles. On eût dit qu’ils étaient suspendus à mes lèvres et que ce que je leur disais répondait profondément en eux. "Mais comme sa respiration est délicate, continuai-je ! Personne ne pourrait respirer comme elle, sans faire de bruit…". Les enfants, surpris et immobiles, retinrent leur souffle. On "entendit" ; à ce moment, un silence impressionnant. Le tic-tac de l’horloge devint perceptible. Il semblait que le bébé eût apporté une atmosphère de silence comme il n’en existe pas à l’ordinaire. Et cela, parce que personne ne faisait le plus petit mouvement. De là naquit le désir de retrouver ce silence ; ils voulurent le reproduire ; ils s’empressèrent donc, on ne peut dire avec enthousiasme, parce que l’enthousiasme a en soi quelque chose d’impulsif qui se manifeste à l’extérieur, et que cette manifestation correspondait, au contraire, à un désir profond, mais ils s’immobilisèrent, contrôlant jusqu’à leur respiration. Et ils restèrent ainsi, dans une attitude sereine de méditation. C’est de cette façon qui naquit notre exercice du silence.
Il me vint un jour l’idée de profiter du silence pour faire des expériences sur l’acuité auditive des enfants. Je les appelai par leur nom, à voix basse, et d’une certaine distance. Ceux qui s’entendaient appeler devaient venir près de moi, faisant le chemin sans bruit. Avec quarante enfants, cet exercice d’attente demandait une patience que je croyais impossible : j’apportai des bonbons et des chocolats pour distribuer à chaque enfant qui m’arrivait. Les enfants refusèrent les bonbons. Ils semblaient dire : "Ne gâte pas notre belle impression ; notre esprit est encore en train de se délecter ; ne nous distrais pas".
Je compris ainsi qu’ils étaient sensibles, non seulement au silence, mais encore à une voix qui, dans le silence, les appelait imperceptiblement. Et ils arrivaient lentement, en marchant sur la pointe des pieds, avec précaution, pour ne rien heurter ; et l’on n’entendait point leur pas. Il fut clair, par la suite, que chaque exercice de mouvement dont l’erreur peut être contrôlée-comme, dans le cas présent, par le bruit dans le silence- aide l’enfant à se perfectionner. Et ainsi, la répétition de l’exercice peut apporter une éducation extérieure telle, qu’il serait impossible d’en obtenir une aussi fine par un enseignement extérieur.
Nos enfants apprirent donc à se mouvoir à travers les obstacles sans les heurter, à courir légèrement sans bruit, devenant souples et agiles. Ils jouissaient de leur perfection. Ce qui les intéressait, c’était de découvrir eux-mêmes leurs possibilités, et de les pratiquer dans ce monde mystérieux qu’est la vie qui se déroule". Extrait de l’Enfant, Maria Montessori, 1936.
Ce texte date. Il n’en reste pas moins que des fondements restent valables : apprendre et vivre le silence. Maria Montessori a développé ces exercices de silence avec un cérémonial. Maîtrise du corps, maîtrise des objets, accès à l’intériorité. Exemple : les enfants sont assis en cercle. Au milieu, une table et une chaise. L’enfant appelé vient s’asseoir et cherche à maîtriser le déplacement des objets en évitant tout bruit. Les autres écoutent et lèvent la main s’ils entendent du bruit. Ce type d’exercice peut être réalisé avec un crayon qu’on pose sur une table, avec une cloche qu’on porte en évitant de la faire sonner (préhension avec les trois doigts de l’écriture), avec une bougie allumée qu’on déplace calmement pour qu’elle ne s’éteigne pas, avec un verre d’eau qu’il ne faut pas renverser, avec un objet sur la tête qui oblige à se tenir droit et à se mouvoir tranquillement, pour ouvrir et fermer la porte de la classe sans la claquer... L’enseignant peut également appeler des enfants par leur prénom en chuchotant pour démarrer une activité, aller au vestiaire, sortir en récréation. L’enfant se déplace en silence, faute de quoi il revient s’asseoir et patiente à nouveau.
Lire sur sitEColes :
- Une bulle de silence
Le projet « Bulle de silence », une demande des élèves = un espace, un temps, un règlement intérieur.
- La minute de silence
L’Éducation nationale invite parfois à observer une minute de silence lors d’attentats ou de drames nationaux. Comment vivre cette minute avec les élèves ?
Du silence à l’intériorité
Pour Maria Montessori, cette leçon de silence conduit à l’intériorité. C’est le moment où peut être proposé un temps de prière.
Lire sur sitEColes :
- le dossier : la Prière,
- éduquer au silence, à l'intériorité et à la prière.
Pour méditer avec la Bible
La Bible fourmille de silences. Dieu en profite pour murmurer à l'oreille des hommes, à la surprise d'Élie, sur le mont Horeb. Il exauce aussi la prière de Jonas, prisonnier de la baleine. Mais Dieu ne répond pas toujours, comme le regrette le psalmiste. Au mont des Oliviers, le Christ expérimente aussi ce silence pesant, mais il s'en remet à la volonté de son père. A votre tour d'en faire l'expérience.
- 1er livre des Rois, chap. 19. "la voix d'un silence subtil".
- Livre de Jonas, chap. 2. "De la détresse où j'étais, j'ai crié vers Yahvé, et il m'a répondu".
- Psaume 22. "Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?"
- Évangile de Luc, chap.22, v. 39 à 46. "Père, éloigne de moi cette coupe!"
- Évangile de Matthieu, chap. 6, v. 5 à 15; "Retire-toi dans ta chambre, ferme sur toi la porte et prie ton Père qui est dans le secret".
Extrait de la Vie, 2 juillet 2009
"On parle du silence de Dieu, mais jamais de la surdité des hommes" (Michel Boujenah).
Une éducation sensorielle
Écouter le silence, écouter les bruits, éduquer son oreille, affiner ses perceptions, c’est une éducation sensorielle utile pour aider l’enfant à discriminer les sons et à porter attention à ce qu’il entend.
Lire sur sitEColes le document : l’ouïe.
Un travail autour de l’ouïe.
Et le bavardage ?
Le bavardage a toute sa place à l’école.
Ne serait-ce que par sa fonction sociale. La conversation est une activité sociale qu’il est important d’exercer.
Le bavardage est aussi parfois un moyen d’appropriation des savoirs quand deux élèves échangent sur les propos du maîtres : "on avait vu ça en l’année dernière". "J’ai vu un documentaire à la TV qui raconte la même chose"…
Il est également parfois temps d’échange dans un travail collaboratif, et pour que se vive le "conflit socio-cognitif" entre enfants.
L’enseignant veillera à apprendre aux enfants à discerner quand le bavardage est opportun ou quand il est nuisible. Il les aidera à réguler les prises de paroles et le niveau sonore.
Cela renvoie à l’image d’une "ruche bourdonnante", reflet d’une classe active où la parole a sa juste place.
Et le silence de l’enseignant…
"Dans de nombreuses classes la parole de l’enseignant est omniprésente y compris au moment où les élèves devraient exécuter seuls des tâches et en silence".
L’enseignant sait-il se taire ? Sait-il écouter ? Sait-il parler à bon escient ? Sait-il prendre en compte les questions ? Choisir de ne pas y répondre ?
Lire sur sitEColes : Où est la gare ? Quelle est la question ?
Des citations :
"Ce que je cherche, ce que je trouve parfois, malgré moi, au moment où je ne m’y attendais plus ; ce qui m’est simplement donné par la vie, par la lumière, c’est le moment de vrai silence qui m’emplit comme un rêve et m’étend bien au-delà de moi-même"(J-M-G Le Clézio)
"Le silence est l’interprète le plus éloquent de la joie" (Shakespeare)
"Le silence est l’élément dans lequel se forment les grandes choses" (Maurice Maeterlinck)
"Rien ne rehausse l’autorité mieux que le silence, splendeur des forts et refuge des faibles" (De Gaulle)
"La parole est d'argent et le silence est d'or". Proverbe français
"Il est parfois nécessaire de se taire pour délivrer une parole juste". Christian Bobin
"Le meilleur usage que l'on puisse faire de la parole est de se taire". Tchoang Tseu
"La parole perd parfois ce que le silence a gagné". Proverbe espagnol
"Qui parle sème. Qui écoute, récolte". Nisâmi, sage persan.
Des textes :
A lire dans textes à méditer : le silence.
Réaction d'un internaute :
"Merci pour ce bel article, j'y retrouve mes référents.
Je me permets d'ajouter, si besoin était, deux liens supplémentaires qui peuvent montrer la diversité des personnes qui évoquent le silence.
Françoise Dolto propose aussi le silence dans son partenariat avec l'école de la Neuville. Chaque assemblée des enfants commence par une minute de silence matérialisée par un sablier.
J'ai retrouvé également ce besoin de silence et d'écoute dans "chagrin d'école" de Pennac, je ne sais s'il connait la leçon de silence, mais ce qu'il décrit y ressemble beaucoup.
Personnellement, avec mes élèves de l'école primaire, j'ai pris régulièrement le temps de savourer le silence. Et maintenant comme formateur, je prends le temps de commencer toutes mes interventions par du silence de ma part en évitant d'interpeller le public. La réaction est étonnante car peu de personnes sont habituées à donner leur attention. Le silence vient peu à peu, au fur et à mesure que les participants ressentent qu'il se passe quelque chose. Quand le silence est complet, le lien d'attention est créé. Le bonjour se pose alors dans un bel écrin".
Jean-Marie Leconnétabble, enseignant.