De l’exclusion à l’inclusion, à l’école
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Quand on parle d’inclusion, on pense d’abord aux grandes difficultés scolaires et aux handicaps. Mais l’école est aussi interpellée par l’inclusion culturelle et sociale. L’accueil de tous, un geste d’Espérance qui implique un travail sur les représentations et la mobilisation de quelques moyens.
L’école inclusive définie dans la loi de 2005 s’inscrit dans la longue histoire du système éducatif placé, depuis son origine, devant la question de l’accueil de l’enfant différent. Accueillir chacun, tel qu’il est, demande d’abord un travail personnel et collectif pour déplacer des représentations inhibantes. Mais la bonne volonté ne suffit pas, il faut mobiliser des moyens, individuellement, et dans l’équipe éducative animée par le chef d’établissement.
1 - L’inclusion et l’histoire du handicap
L’inclusion scolaire s’inscrit dans un long processus historique, marqué par trois temps :
-Logique d’exclusion : L’ « enfance inadaptée » est à réadapter dans des classes ou établissements spécialisées avec une logique de ségrégation.
-Logique d’intégration : En 1975, la loi d’orientation en faveur des personnes handicapées fait de l’accès au milieu « ordinaire » une priorité.
-Logique d’inclusion : La loi du 11 Février 2005 « pour l‘égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » établit que l’école pour tous est un droit fondamental. Les moyens appropriés aux besoins particuliers des enfants handicapés ou en difficulté sont progressivement déplacés vers la classe, pour y favoriser leur accueil ainsi que leur maintien.
2 - L’inclusion scolaire dans le projet de l’école catholique.
Ecole inclusive et ouverture à tous.
L’école catholique est « ouverte à tous, sans aucune forme de discrimination » (Statut, article 8). « Elle porte une attention plus particulière à toutes les formes de pauvreté. » (Statut, article 38). L’école inclusive rejoint donc pleinement le projet de l’école catholique. Cette volonté procède d’une obligation légale, dans le cadre de la Loi Debré de 1959, mais surtout d’un choix pastoral.
Ecole inclusive et fraternité.
L’appel de l’Evangile à la fraternité conduit en effet à rejoindre chacune et chacun, dans le respect de la diversité et de la différence. Le prochain n’est pas seulement celui dont on se sent spontanément proche, mais celui dont on s’approche résolument, en acceptant sa spécificité. Et cette particularité n’est pas considérée comme un danger qu’il faut réduire, mais comme un atout pour l’enrichissement de tous.
Ecole inclusive et société plurielle.
Aux difficultés scolaires et aux situations de précarité économiques et sociales, s’ajoutent aujourd’hui les questions liées au pluralisme culturel et / ou religieux. Il s’agit, pour l’école, de préparer chacune et chacun à vivre dans une société non homogène. L’école inclusive concerne donc l’inclusion scolaire, l’inclusion sociale et l’inclusion culturelle.
L’accueil de tous est d’abord un geste d’espérance qui croit aux possibilités de chacun, à son éducabilité et à l’importance de chacun pour faire société.
3 - Des questions qui se posent
L’école inclusive est néanmoins une tâche exigeante, comme la fraternité dans la société. S’y engager requiert de lutter contre des résistances et de déplacer des représentations. Ce travail concerne la communauté professionnelle de l’établissement, mais aussi les parents d’élèves dont certains peuvent craindre l’hétérogénéité.
Quel regard a-t-on sur la différence ?
-Avec quelles différences sommes-nous le plus ou le moins à l’aise ? handicap, difficultés scolaires, difficultés de comportements, références culturelles, modes de vie, valeurs, religions … ?
-Quel est notre rapport à la norme ? Jusqu’où acceptons-nous les différences ? Les pense-t-on comme un frein ou une richesse ?
Quelle reconnaissance des différences ? Quelle qualification lui accorde-t-on ?
-Nommer les différences permet-il de les prendre en compte ?
-Conduit-il à un étiquetage enfermant, au risque de ne plus voir l’enfant qu’à travers le prisme de ce qui le distingue ?
-Cet étiquetage conduit-il à la résignation, ou à un moyen de déléguer à un spécialiste de la difficulté désignée ?
Accueillir un / des enfant (s) de culture différente ne risque-t-il pas de compromettre notre identité ?
-Peut-on reprendre conscience que toute culture s’élabore et se transforme à l’occasion de rencontres et d’échanges ?--Est-ce que l’école inclusive peut aider à repérer des codes culturels différents sans les dévaloriser ? Est-ce que l’école inclusive peut aider à réfléchir à la façon d’intégrer les élèves de culture étrangère sans les assimiler ?
Accueillir un / des enfant (s) différent (s) compromet-il l’homogénéité des classes utile à a réussite des apprentissages ?
-Est-on sûr que l’homogénéité favorise les apprentissages ? Peut-on tirer profit de l’hétérogénéité ?
-Vivre en classe, dans un milieu homogène, est-il une préparation pertinente pour vivre dans une société pluraliste ?
Accueillir un / des enfant (s) différent (s) prive-t-il les autres élèves d’une part de l’attention qu’on leur doit ?
-Ne faut-il pas sortir, en éducation, d’une représentation égalitariste, qui conduit à accorder à chacun la même chose ? Ne faut-il pas plutôt personnaliser les aides en fonction des besoins particuliers des élèves ?
-La mobilisation pour quelques élèves différents n’oblige-t-elle pas à réfléchir à une organisation de la classe formant plus et mieux à l’autonomie les élèves qui peuvent, dans certains temps, se passer de la présence de l’adulte ?
Accueillir un / des enfant (s) différent (s) risque-t-il de ralentir le rythme des apprentissages de la classe et de faire baisser le niveau ?
-La recherche pédagogique conduite par les enseignants pour les élèves différents ne développe-t-elle pas une diversification pédagogique bénéfique à tous ?
-Peut-on accepter de ne pas se centrer prioritairement sur le seul enseignement des disciplines (français, mathématiques...), pour percevoir combien la diversité d’un groupe peut être utile à l’acquisition des compétences psychosociales ?
Quelles visées a-t-on ? Assimilation, intégration, inclusion ?
-Est-on au clair avec ces concepts et ce qu’ils véhiculent ?
-Qui doit s’adapter ?
4 - Quelques moyens à mobiliser
La rencontre avec les particularités d’un élève oblige l’équipe pédagogique à trouver les moyens pour lui faire une place parmi les autres et dans les apprentissages. Pour y parvenir, quatre leviers essentiels doivent être actionnés.
Une démarche d’invention et de formation
Des enseignants pensent ne pas être suffisamment compétents pour accueillir tous les élèves, avec leurs différences. Ils invoquent parfois un manque de formation et espèrent l’intervention de spécialistes. Cependant, travailler dans le sens d’une école inclusive n’est pas faire aveu d’impuissance. Au contraire, il s’agit de renoncer à l’idée magique qu’existe une recette pédagogique standardisée pour des catégories d’élèves ou un prêt-à-porter éducatif pour chacun. Vouloir une école inclusive suppose un cheminement personnel autant que professionnel qui commence par consentir à ne pas tout-à-fait maîtriser la situation. C’est parce qu’un enseignant reconnaît d’abord sa limite qu’il peut, ensuite, chercher avec d’autres une manière de faire et des aides sur-mesure. Si méthode il y a, elle n’est qu’expérimentale : des essais raisonnés à partir de l’analyse de l’existant, des ressources humaines et matérielles disponibles. Et si un sentiment doit l’encourager, c’est celui de la responsabilité.
Un travail d’équipe.
Un enseignant isolé aura bien du mal à trouver et tenir des aménagements suffisants pour aider un élève en situation de marginalisation, de difficulté ou de handicap. Sa réflexion, son endurance et sa créativité seront davantage à l’œuvre s’il peut s’ouvrir à d’autres : le chef d’établissement, ses collègues, l’enseignant spécialisé, le psychologue, les divers professionnels du champ médico-social, l’AVS (auxiliaire de vie scolaire), l’enseignant-référent, les parents. Le partage des questions autant que des expériences permet une meilleure connaissance de l’enfant, ouvre à des actions possibles et permet d’ajuster les postures. L’enfant peut tirer bénéfice du croisement de ces regards, dans ses différents lieux de vie. L’écriture d’un projet pour un élève – PPS (projet personnalisé de scolarisation) ou PPRE (programme personnalisé de réussite éducative) – mentionne généralement les « moyens humains » mobilisés. Encore faut-il penser à les revitaliser régulièrement ! A cet égard, la pratique à plusieurs offre une garantie intéressante.
Une approche globale.
La vision un peu scolarocentrée que porte l’école sur les enfants favorise sans doute leur progression dans les apprentissages. Cependant, l’accueil d’un enfant différent de part sa culture, sa religion, son handicap, sa maladie ou confronté à des difficultés suppose un changement de regard. Réduire l’élève à ses manifestations et productions récentes ou à l’étiquette qui caractérise sa différence occulte le fait qu’il est un être relié (à d’autres) et vivant (en devenir). Dès lors, ce sont les diverses relations qu’il convient de penser : enseignant-élève, parent-enfant/élève, élève-pairs, enseignant-parent, enseignant-professionnels du social ou de santé… Il y a bien des relations susceptibles de faire obstacle à l’inclusion : la relation de dépendance, celle de contrôle ou encore celle de rejet. L’accueil d’un enfant avec ses différences pose inévitablement la question de son statut, c’est-à-dire de la place à laquelle il est mis dans la classe, la famille, le suivi thérapeutique ou éducatif. La logique d’alliance entre les partenaires est sans doute la mieux à même de pouvoir répondre à la diversité des situations.
Cependant, l’inclusion ne devrait pas être que l’affaire des adultes qui gravitent autour de l’enfant. L’élève n’est-il pas le premier acteur concerné par sa vie avec les autres et ses apprentissages ? En dépit de ses besoins particuliers et comme les autres enfants, il est d’abord un sujet avec une autonomie psychique, une logique propre, une façon singulière d’être élève. Il a des représentations scolaires. Il tient une position d’élève. Il a une demande. Il a un rapport au savoir et aux apprentissages. Sans doute a-t-il quelque chose à dire par rapport à ce que d’autres autour de lui pensent pour lui. Ecoute-t-on ses besoins, ce qu’il dit de la présence de l’AVS près de lui, de sa place dans la classe ? Est-ce qu’on l’associe aux aménagements pensés pour lui ? Est-ce qu’on envisage avec lui la part d’autonomie qu’il peut prendre ?
Un projet d’école.
Le rôle du chef d’établissement est déterminant pour promouvoir l’école inclusive. Il incarne quelque chose de la loi (l’école est un droit pour chaque enfant) et une certaine éthique (une école de la différence). Son autorité passe par le discours qu’il tient (son refus du déterminisme) et son désir d’agir pour adapter le cadre scolaire à tous ses élèves. Il invite ses collègues à se former. Il encourage le développement d’une pédagogie qui mise sur la différenciation pédagogique et la coopération entre élèves. Les pratiques d’entraide (solidarité) sont valorisées. Il met en place des opérations de sensibilisation des élèves à la différence. Son autorité passe aussi par des actes. Est-ce que le chef d’établissement considère l’équipe comme ressource, auquel cas il libère le temps suffisant pour la réflexion et la régulation à plusieurs ? Est-ce qu’il fait des dysfonctionnements l’occasion de réfléchir à des améliorations pour l’accueil de tous ?
Et si c’est trop difficile …
Il arrive parfois qu’une équipe d’enseignants se trouve en difficulté pour poursuivre son travail avec un enfant. La situation devient insupportable pour un enseignant et ses collègues. Le chef d’établissement ne trouve plus les ressources pour soutenir son équipe. Le contexte peut être difficile : fragilité de l’enseignant, instabilité de l’équipe, surcharge des effectifs… Ces cas d’impasses sont rares, mais ils existent. Persister ne rend sûrement service à personne, ni à l’élève ni aux professionnels. La solution se trouve alors au-delà de l’école, dans le réseau des autres écoles. Dans un tel scénario, la limite est la solution. La responsabilité du chef d’établissement est alors de penser l’exclusion, c’est-à-dire chercher – avec les parents – un autre établissement pour leur enfant et accompagner la transition. Il est bien entendu qu'elle n'interviendra qu'après une recherche d'autres modalités.
Conclusion :
L’école inclusive répond au droit de chacun à l’éducation que rappelle en son article 1 le Statut de l’Enseignement catholique : « La dignité de la personne humaine fonde pour tous les hommes un droit à l’éducation ». Ce droit ne doit pas être vécu seulement comme une obligation, il est le signe d’un choix de société assumé et joyeux : « l’inclusion se réfère à un ensemble de valeurs qui ont trait à une société plus tolérante et plus équitable dans laquelle la diversité entre les êtres humains seraient acceptées et célébrées » (Charles Gardou). En entrant solidairement dans cette démarche, les établissements, chacun pour leur part, cherchent à faire de l’école une « maison commune » où chacun puisse se sentir chez soi. C'est pourquoi de l'école inclusive, nous sommes passés à l'éducation inclusive : "L’école doit se flexibiliser pour offrir au sein de l’ensemble commun un chez-soi pour tous" (Charles Gardou).