Les Enjeux de la pratique philosophique à l'école primaire
Temps de lecture : 10 minutesIl ne s'agit pas d'envisager à l'école primaire un enseignement philosophique mais davantage d'initier une pratique à visée philosophique rendant accessible aux élèves l'apprentissage d'un " penser par soi même ".
« Dans sa jeunesse, que personne n'hésite à s'engager en philosophie…car personne ne peut s'engager trop tôt ou trop tard dans l'activité que procure la santé de l'âme…L'activité philosophique s'impose à celui qui est jeune comme à celui qui est vieux. » Epicure - Lettre à Ménécée.
Il ne s'agit pas d'envisager à l'école primaire un enseignement philosophique mais davantage d'initier une pratique à visée philosophique rendant accessible aux élèves l'apprentissage d'un " penser par soi même ". C'est moins la connaissance en tant que telle qui est recherchée que la mise en place d'un " état d'esprit ", la construction du raisonnement, l'entraînement des facultés de penser.
Le courant de la philosophie pour enfant a démarré avec les travaux de Matthew Lipman en 1969. Celui-ci défend l'idée que la pratique philosophique avec de jeunes enfants permet, dans le cadre d'une " communauté de recherche ", le développement d'un " penser par soi même ". Il propose une démarche méthodique, basée sur le lecture de contes philosophiques mettant en scène des enfants de même âge qui agissent, réfléchissent et discutent.
En France, c'est Michel Tozzi, Professeur des Universités en Sciences de l'éducation à Montpellier, qui est à l'origine de beaucoup des travaux relatifs à la philosophie à l'école primaire. Ses recherches portent sur la spécificité de l'activité philosophique avec de jeunes enfants : il préfère ainsi parler de pratiques à visée philosophique articulant réflexion philosophique et développement d'une pensée réflexive et a mis au point une " didactique de l'apprentissage du philosopher ". (Pour en savoir plus www.philotozzi.com
Le présent article s'appuie sur ses travaux.
Qu'est-ce que la philosophie ?
Philosophie vient du grec " Philos " aimer et de " sophia " la sagesse. Amis de la sagesse, les philosophes ont pour méthode la réflexion et pour objet le monde, leur but est de retrouver le sens des choses.
En philosophie, la question est centrale, les réponses multiples appelant alors de nouvelles questions. A l'inverse de nombreuses disciplines, la philosophie n'est pas la recherche de la bonne réponse mais une quête de sens basée sur le questionnement et l'échange des points de vue.
Le questionnement philosophique est existentiel et vise à permettre à chacun de se construire une vision du monde et d'y trouver son rapport aux choses, aux autres et à lui-même.
Quel peut être l'intérêt de développer chez de jeunes enfants cette pratique ?
Si l'enseignant du primaire a la responsabilité d'aider les élèves à construire leurs savoirs, il a conjointement celle de permettre que se développent chez eux des compétences intellectuelles transférables. La construction de la faculté de penser est un enjeu d'autant plus important que les enfants qui lui sont confiés sont jeunes ; les activités scolaires sont pour eux l'occasion de découvrir à la fois la richesse des contenus, la complexité et la rigueur des raisonnements.
Les partisans d'un apprentissage du philosopher à l'école primaire font le pari que ces pratiques vont permettre
- de développer des compétences essentielles au développement de la personne et transférables à d'autres types d'apprentissage ;
- de donner sens aux apprentissages et à l'expérience scolaire en la situant dans des problématiques plus larges ;
- de faire l'expérience, par l'exercice de la parole, d'un autre rapport à la loi.
Proposer des temps de discussion philosophique c'est susciter :
- un rapport non-dogmatique au savoir :
S'il n'y a pas en philosophie recherche d'une bonne réponse, il n'y a pas non plus de mauvaises réponses. Chacun est amené, à partir de ce qu'il sait, à exprimer un point de vue. Même la pensée de l'enseignant ne constitue qu'une hypothèse.
C'est un domaine où l'enfant ne peut pas dire qu'il ne sait pas. En cela il constitue peut-être une chance pour les enfants en difficulté qui, s'ils ont du mal à maîtriser les savoirs, doivent être rassurés sur leurs capacités à réfléchir et raisonner.
- une éducation au " penser par soi-même " :
Apprendre à philosopher, c'est apprendre à penser par soi même :
La pratique philosophique permet la mise en place, en classe, d'un espace de réflexion et d'échange centré sur la pensée : elle va permettre le développement d'une pensée personnelle exprimée devant et avec les autres. L'élève va faire l'expérience de l'exercice de sa pensée.
Deux aspects essentiels sont sollicités pendant l'activité philosophique :
- l'aptitude au questionnement : amener l'élève à prendre conscience qu'apprendre engage dans une recherche, ne se réduit pas à construire des réponses mais incite à se poser des questions ;
- la capacité à formuler des hypothèses et à argumenter : inciter l'enfant à formuler ses représentations, identifier leur source, questionner cette source et valider ses arguments en les confrontant avec les autres.
Il s'agit là d'aptitudes essentielles à l'apprentissage et sollicitées dans tous les champs disciplinaires.
- une construction personnelle et collective du rapport au monde :
Par les enjeux existentiels, anthropologiques des questions abordées, la philosophie aide l'enfant à se positionner face aux grandes questions du monde.
Ce travail est d'autant plus pertinent qu'il s'appuie sur des visions multiples et permet alors de développer un regard critique sur les sujets traités.
- un autre rapport à la loi :
Basées sur la communication entre pairs, les discussions philosophiques constituent des lieux d'exercice d'un vivre ensemble. Les enfants apprennent à s'exprimer, à écouter et à respecter la parole d'un pair. La qualité des échanges recherchée nécessite un cadre de parole explicite accepté du groupe. Ce cadre facilite la reconnaissance par chacun des règles nécessaires à l'échange.