Rôle de l’école face aux attentes éducatives
Temps de lecture : 10 minutesParler du rôle de l’école face aux attentes éducatives, c’est parler véritablement de la responsabilité de l’école, de sa capacité à répondre aux appels qui lui viennent aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur, à savoir des parents, de la société, des enfants eux-mêmes.
Il me semble qu’il ne peut y avoir œuvre éducative que dans la confiance. Il s’agit donc pour l’école de dire aux enfants qui lui sont confiés : « N’aies pas peur ! » C’est probablement la tâche primordiale. Sans cette sécurité initiale, il ne peut y avoir d’apprentissages et tous les discours éducatifs seront vains parce qu’inaudibles.
Or il ne suffit pas de proclamer la confiance, il faut la faire vivre dans le quotidien de la classe, dans l’attitude du maître, dans ses appréciations, dans ses évaluations. L’essentiel , pour l’école, c’est de révéler les capacités – on pourrait dire les talents – de chaque enfant et de l’assurer de sa valeur. Évaluer consiste véritablement à donner de la valeur. Cet ancrage fondamental constitue le socle sur lequel se bâtira toute une vie. Désespérer un enfant, est de mon point de vue, non seulement une aberration pédagogique, un contresens psychologique, mais aussi une véritable faute professionnelle et un contre témoignage évangélique grave. Tout le monde nous attend sur ce point : les parents, la société dans son ensemble et le milieu professionnel lui-même qui attend des jeunes certes des compétences mais surtout une solide confiance en eux-mêmes.
Bien sûr l’école a toujours comme tâche de socialiser l’enfant, de le faire entrer dans le monde organisé de la vie sociale et donc dans le monde de la Loi. Entrer à l’école, c’est expérimenter les règles, les consignes, la loi qui régit une société et qui évite l’arbitraire de la force individuelle ou de la violence. L’école a toujours eu ce rôle depuis l’origine. Elle l’a peut-être aujourd’hui plus que jamais. Ce n’est pas un hasard, si les textes officiels insistent tant sur les modalités du vivre ensemble. Dans un monde que l’on dit tenté par l’individualisme, dans un monde où la revendication des droits individuels efface parfois la perspective du bien commun, le vivre ensemble dans l’école constitue une éducation toujours aussi urgente. Il ne faut pas oublier que le seul rempart contre la violence, c’est la Loi.
Si ces deux conditions sont remplies : la confiance d’une part et le respect de la Loi de l’autre, alors pourra s’opérer la découverte de soi, qui est l’œuvre de toute une vie, et la découverte de l’autre, sans laquelle l’humanité ne peut exister.
Dans la perspective de la formation d’un citoyen conscient et vigilant , je rajouterai que l’école a la possibilité d’enseigner aux jeunes la complexité des choses. La pensée enfantine d’une part et la structure médiatique d’autre part se retrouvent pour simplifier au maximum et bâtir un monde en noir et blanc, soumis aux seuls rapports de force. La vie scolaire elle-même est un bon laboratoire pour apprendre les nuances et par là-même la négociation. Peut-être est-il temps d’éduquer nos jeunes à la négociation – qui considère positivement le point de vue de l’autre – plus qu’au conflit social qui ne considère l’autre que comme un adversaire à éliminer. Pour autant faut-il admettre que lui aussi est respectable et digne d’intérêt.
Bien sûr, ce que l’on attend de l’école c’est qu’elle fournisse les apprentissages fondamentaux : lire et écrire. Mais il ne s’agit pas là seulement d’un apprentissage fonctionnel, même si la maîtrise de la lecture et de l’écriture constitue le plus sûr moyen de poursuivre des études et d’entrer dans la société. Au delà de l’utilité de la lecture, je voudrais insister sur le fait que lire c’est le premier acte d’accession à l’universel. Savoir lire, c’est avoir accès à la culture universelle construite tout au long de l’histoire. Savoir lire, c’est entrer dans la longue cohorte humaine qui petit à petit construit l’humanité, c’est prendre sa place dans l’Histoire. Apprendre à lire, c’est apprendre à faire des liens, condition essentielle de la constitution de toute science et de toute connaissance. On pourrait dire, qu’apprendre à lire, c’est devenir un peu plus homme. C’est en cela que la lutte contre l’analphabétisme est une lutte prioritaire à l’échelle de la planète.
A l’intérieur même de ces apprentissages, l’école a le devoir de faire comprendre que le savoir est fait pour être partagé. Il me semble qu’aujourd’hui il faut de toute urgence changer les formules : passer du « c’est pour toi que tu apprends » qui est malheureusement encore beaucoup trop répandu, au « tu apprends pour partager avec d’autres, et mettre ton savoir au service des autres ». ll est de bon ton de dénoncer partout l’individualisme ambiant – ce qui me paraît excessif – et en même temps de continuer à renforcer toutes les pratiques scolaires individualisantes. Si nous voulons lutter contre le renfermement sur soi, alors faut-il développer le partage sous toutes ses formes, et le partage du savoir en priorité. A l’école, le soutien mutuel, la mutualisation des compétences, devraient être la règle d’or.
Ainsi l’école pourra apprendre aux enfants d’aujourd’hui qu’ils font partie d’une humanité qui peu à peu se construit dans les soubresauts de l’Histoire. Ainsi ils pourront comprendre qu’ils ne sont pas seuls et que leur devoir est de partager ce qu’ils apprennent. Car l’humanité ne peut avancer sans partage, certes partage des richesses matérielles, mais aussi et peut-être surtout des richesses de la connaissance. Plus que de simple solidarité, le monde a besoin de réelle fraternité : elle peut commencer à l’école.
Je pense que c’est ainsi que l’école, maternelle et primaire, forme les hommes et les femmes de demain. Je pense qu’elle peut ancrer au cœur des enfants, cette conviction et cette sérénité qui viennent de l’attention bienveillante des adultes. En tant que telle, elle remplit pleinement son rôle fondamental d’initiation. Elle proclame dans son vécu sa confiance dans la vie et dans les hommes, elle donne envie de vivre.