Y-a-t-il un projet dans l’établissement ?
Temps de lecture : 16 minutesDes signes indiquent la vitalité d’un projet qui se doit d’être fédérateur et écrit.
La vitalité d’un projet se mesure à des signes distinctifs
Comment peut-on affirmer, en entrant dans une école, un collège, un lycée qu’il y a un projet ? Peut-on en définir la forme, la couleur, l’odeur et même la saveur ? Un défi pour le Renard à qui le Petit Prince aurait demandé tout à coup « dessine-moi un projet »…
Les sciences de l’éducation proposent une gamme de réponses allant des plus précises aux plus vastes (1). On découvre que la notion de projet s’organise autour de deux pôles incontournables : l’un, individuel et l’autre, social.
Selon le premier, le projet serait :
- un processus évolutif et finalisé, conduisant d’un état de fait à un autre état de fait. Les procédures (plans d’action, programmes, stratégies, documents) n’en sont que des modes opératoires, organisationnels et provisoires ;
- une réponse à l’incertitude, c’est à dire la distance qui sépare l’état actuel des choses de la conception de l’homme ;
- une démarche d’anticipation qui consiste à s’adapter, à prévoir ou à imaginer l’avenir, à planifier l’action au moyen de scénarios ;
- une conduite de réussite qui comporte un jugement de probabilité d’atteinte des résultats espérés.
Le second pôle fait apparaître trois autres traits :
- un phénomène social de production collective de normes et de décisions qui renvoie à une sociologie de l’action et constitue la marge d’initiative que notre société laisse aux acteurs ;
- une élaboration de choix, plus ou moins déterminés, permettant à des familles ou à des élèves de peser sur le déroulement de leur cursus face au déterminisme social ;
- un ensemble qui intéresse à la fois la structure et les acteurs et ne se laisse pas réduire à un mode d’approche exclusif de l’un ou de l’autre.
On constatera, en premier, que poser le problème du projet d’établissement en termes techniques, méthodologiques ou stratégiques, sans en référer en priorité à son contenu de politique éducative, revient à en faire un gadget Toute instrumentation excessive entraîne inéluctablement sa transformation en objet plus ou moins inerte. Le primat actuel de l’univers technique met l’accent, beaucoup trop rapidement, sur l’instrumental. On a hâte de recueillir des résultats observables. Cette contrainte apparaît si l’on se réfère aux textes officiels qui font du projet un texte, un document. Or, le projet est une démarche dont l’importance est bien plus grande que ce papier de dix ou quinze pages que le chef d’établissement envoie au recteur.
L’intérêt d’un projet réside dans son caractère fédérateur
Bien en amont des objectifs, on doit expliciter les visées. Une façon de résister à la tentation de construire des « projets programmatiques », sous forme d’énumération d’objectifs, est de concevoir un « projet visée ». Celui-ci est par nature indéfini, voire infini. Il s’agit alors d’un processus philosophique et politique, non pas en quête d’objets, mais en quête de valeurs.
Ainsi, l’existence d’un questionnement partagé par tous les acteurs concernés autour de « qu’avons-nous à faire ensemble ? », « après quoi courons-nous ? » serait le premier indice de la présence et de la vie du projet.
Un deuxième constat pointe un écueil fréquent : celui de l’extension à l’établissement du projet de son chef. Ce dernier envoie un document à la date prescrite. Parallèlement, il poursuit une démarche, dont il espère qu’elle fera tâche d’huile et permettra d’étoffer une équipe. Cette prétention exprime souvent le fantasme d’un management excessif qui porte à croire qu’on peut motiver des collaborateurs ou des élèves, à condition de décréter leur participation. L’intérêt du projet réside au contraire dans son caractère fédérateur par rapport à des enseignants, à des élèves et des autres partenaires. Il ne s’agit pas de faire l’unanimité, mais d’amener à confronter divers points de vue avec la perspective de s’accorder sur certaines valeurs.
Voilà le deuxième indice de l’existence et de la vie du projet dans l’établissement : on ne doit pas l’identifier à celui du « chef ». Chacun doit pouvoir en parler comme quelque chose qui lui appartient, se sentir concerné et agir dans un espace de responsabilité partagée.
On observera, en troisième lieu, qu’un projet doit être conçu dans une perspective dialectique et temporelle. Un projet ne s’accomplit que dans la prise en compte de la durée. La maturation d’un élève, son sens des responsabilités, son éducation à la citoyenneté, l’évolution des pratiques d’un enseignant ne se font pas en un jour. Il faut de la continuité et de la permanence. La tendance est d’oublier la nécessité de former inlassablement des partenaires qui se renouvellent tous les ans, en raison des mutations pour les enseignants, et, pour les élèves, des élections.
Ainsi, le troisième indice de l’existence et de la vie d’un projet réside dans l’acceptation d’investir à long terme, dans une perspective de formation qui concerne toutes les personnes. Pour réussir, les acteurs ont à se former à l’intelligence de la complexité de la pédagogie, de l’analyse des résistances et des lois de la communication.
Une fois ces conditions prises en compte, quels peuvent donc être les éléments observables, susceptibles de signaler la vitalité du projet au quotidien ?
A noter d’abord, les séances de concertation collectives. Celles-ci sont placées tôt dans la matinée (les personnes étant supposées être plus en forme), sur des plages horaires communes au plus grand nombre. Ensuite, on choisit des méthodes d’animation adaptées à chaque type de réunion. Il faut tenir compte de certaines périodes peu propices à la réflexion, à cause de la lassitude ou des tensions qui en découlent. Dans ces derniers cas, il vaut mieux privilégier le travail en petits groupes – comme le permet par exemple la technique Philips 6 x 2 (2). De même, les moments de comptes rendus donnent lieu à des pratiques conviviales. Le texte distribué à tous les membres sert de questionnement pour la réunion suivante et doit déboucher sur des actions concrètes. La technique du blason permet à tous les acteurs d’inscrire la représentation de leurs principales qualités et faiblesses dans leur métier. Même si l’enseignant est opposé au projet, son expérience et son savoir sont une richesse qu’il faut valoriser. Toutes ces démarches sont transférables aux élèves et l’analyse qui en découle peut déboucher sur des actions à mener en priorité : ateliers de pédagogie différenciée ou de tutorat pour les élèves, sessions de formation pour les enseignants, etc.
L’importance de l’écriture
Autres méthodes d’animation du projet : les enquêtes menées auprès des élèves sur ce qu’ils pensent de leur établissement dans les domaines du travail, de la vie quotidienne et des relations. Les actions projetées font ensuite l’objet d’une large consultation.
Garder la mémoire de toutes les expériences est également fondamental. L’écriture est un moyen de clarifier les parcours, de montrer les changements chez les élèves, chez les enseignants, de marquer les étapes d’une année à l’autre, d’évaluer les avancées et les blocages. De plus, le texte collectif est une occasion de partager des émotions et de prouver la force d’un enseignement fondé sur une culture. La rédaction du projet incluera éventuellement des écrits personnels, des nouvelles, de la poésie, etc. qui sont portés vers l’extérieur dans le cadre d’expositions et de journées portes ouvertes.
Si tous ces éléments sont mis en œuvre, il y a de grandes chances de voir se transformer l’ambiance de la salle des profs. Le climat s’y détend, on y traîne moins histoire de faire durer la récré. Les élèves, qui risquent une incursion, ne sont pas foudroyés du regard. Le chef d’établissement, en personne, y fait de fréquentes apparitions et annonce même de bonnes nouvelles : deux ans après le démarrage du projet, le taux d’absentéisme des enseignants régresse, celui des redoublements et des exclusions de cours diminue, les réussites au brevet des collèges et au baccalauréat augmentent… « Tu vois bien, conclut notre Renard, que le projet n’est pas une utopie ! ».
(1) Lire à ce sujet : « projet éducatif, projet de société », J. Ardoino, Pour, 1984 ; Contribution à l’étude des établissements scolaires. R. Ballion, CRG, Ecole Polytechnique, 1989 ; Antropologie du projet, essai sur la signification du temps opératoire, thèse de doctorat, J. Boutinet, 1987 ; Comment faire un projet d’établissement, M. Broch, F. Cros, chronique sociale, Lyon, 1987.
(2) Méthode de discussion inventée en 1948 par Donald Philips où six personnes doivent aborder un sujet en six minutes. Cf. La dynamique des groupes restreints, PUF, p. 374.