L'enseignant spécialisé et la classe « ordinaire »
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Compétences respectives de l’enseignant spécialisé et du maître de la classe ? Aider l’élève ? Dans la classe ? Hors de la classe ? Vers la classe ? Aider le maître ? Des réponses à ces questions extraites de rapports de l’inspection générale.
L'IGEN (Inspection Générale de l'Éducation Nationale) a publié, en novembre 2013, un rapport intitulé Le traitement de la grande difficulté au cours de la scolarité obligatoire. La difficulté d'apprentissage ''grave et durable'', située dans la classe, apparaît comme un nœud qui laisse les maîtres ''démunis''. Cette représentation interroge la place de l'enseignant spécialisé : ''L'intervention des RASED constitue une ressource importante. Mais dans sa forme actuelle, elle reste trop coupée de ce qui se noue et se dénoue dans la classe. ''L'enseignant spécialisé est donc invité au plus près des apprentissages pour intervenir avec son collègue.
Le rapprochement de l'enseignant spécialisé de la classe pose des questions :
- Qu'est-ce qu'il vient y faire ?
- Quelle est sa place ?
- Qu'est-ce qui légitime et limite sa présence ?
Co-intervenir dans la classe : aider l'élève, aider le maître
Page 80, le rapport de l'IGEN écarte l'idée que '' la grande difficulté, c'est uniquement l'affaire du RASED. '' Il se fonde sur :
- une réalité. L'effectif réduit des enseignants spécialisés ne couvre ''qu'une partie'' des élèves concernés.
- un principe. '' L'école inclusive '' conduit à '' replacer le dispositif dans un cadre plus large dont il ne constitue qu'un élément. ''
Il n'est pas question de tout attendre de l'aide spécialisée : '' D'une certaine manière, les maîtres « E » ou « G » ou les « psychologues » ne sont pas directement responsables de l'élève en grande difficulté, mais bien d'une aide experte apportée à un certain moment du parcours de cet élève et d'abord destinée à aider le maître à aider celui-ci (l'élève). '' (p 80)
Concrètement, il revient à l'école de '' mettre en cohérence les aides autour de l'élève, du maître et de la classe dans le premier degré. '' Page 54, les rédacteurs évoquent '' une mutualisation d'expertise à réaliser entre le maître spécialisé et le maître de la classe ordinaire. '' L'enjeu serait d'aider les enseignants à '' analyser '', '' comprendre '' et '' concevoir des réponses adaptées '' (p156), '' faire que le lieu de partage de l'information soit une équipe centrée sur l'élève dans la classe et donc autour du maître '' (p77) afin de '' renforcer l'action des enseignants auprès des élèves en situation de grande difficulté. '' Dans cette perspective, l'intervention du maître E '' plus directement en prise avec la dimension de la grande difficulté '' est présentée comme celle d'un ''spécialiste'' ou encore d'un ''expert de l'aide pédagogique''. Il est invité à préparer ''un travail'' pour l'élève '' en binôme avec le maître. ''
Après avoir posé que la modalité d'aide directe à l'élève apportée hors la classe '' ne permet pas d'agir sur la situation de l'élève dans la classe '', le rapport de l'IGEN donne crédit au dispositif de co-intervention : '' Des modalités souples combinent, de manière diverse, des moments d'observation de l'élève dans le cours normal de la classe, des temps d'aide, mais dans l'activité prévue par le maître, des aides plus spécifiques mais décidées avec le maître et parfois conduites par celui-ci, des séances en « co-intervention », des temps brefs où l'élève est retiré de la classe mais avec une trame partagée avec l'enseignant. Si ce mode d'intervention nécessite une volonté commune de coopération et une disponibilité, il paraît de nature à infléchir plus efficacement la situation de l'élève et surtout à répondre aux attentes de l'enseignant en l'aidant à adapter sa pratique. ''
Cette modalité d'aide '' paraît '' répondre à une double préoccupation des enseignants :
- un souci d'efficacité, une réponse ''experte.''
- un souci d'immédiateté, une réponse ''de proximité.''
Toutefois, d'après les rédacteurs du rapport, page 156, ''le besoin est fort", pour les ''troubles comportementaux'' qui appellent une intervention spécifique : « Un bon nombre d'équipes affirment leur impuissance face à certains comportements régressifs. » La co-intervention plébiscitée n'exclut pas d'autres formes d'aide.
Dans la conclusion du rapport, page 155, deux questions peuvent guider la réflexion des équipes pédagogiques :
- '' Comment mettre en oeuvre dans la classe, ou à partir de la classe, le projet personnalisé de l'élève en situation de grande difficulté ?
- Comment organiser l'école pour que cette différenciation soit possible et pour installer les actions et accompagnements qui ne peuvent être conduits dans le cadre de la classe ? ''
Enseignant de classe et enseignant spécialisé : différents et égaux
La pérennité d'un dispositif de partenariat dans une classe passe par une recherche de complémentarité capable de préserver la part d'inventivité de chaque enseignant. La définition préalable d'un cadre de travail permet de préciser les fonctions et les rôles (Qui parle à qui ? D'où parle-t-il ?).
La co-intervention propose un rouage inédit de la relation entre enseignants : faire à deux avec les élèves présents. Le partage ne se résume pas qu'à la pédagogie. Il n'y a pas que l'élève qui est mis au travail mais aussi les enseignants à travers les aléas de leur invention partagée. L'aventure est faite d'avancées et d'espérance, de compréhension et de questions, mais aussi de doutes et de découragement. Rapidement, des noeuds peuvent se former et empêcher l'innovation pédagogique à l'oeuvre. La contrainte d'un temps de régulation entre enseignants est sans doute une nécessité. Il peut garantir un discours commun toujours à élaborer, ré-interroger les limites du projet en cours. De plus, se doter d'un lieu d'échange favorise la reconnaissance des compétences respectives. Chaque professionnel est intervenant du même dispositif et, à ce titre, sa parole mérite d'être entendue.
Aider un élève dans la classe : intérêts et limites
De sa place, l'enseignant spécialisé a quelque chose à faire dans la classe :
- Décaler la représentation qu'il se fait de l'élève :
- observer l’élève dans les apprentissages (avec l'enseignant, les autres élèves et les objets de travail) pour identifier les obstacles fonctionnels et relationnels,
- mettre en œuvre un dialogue pédagogique pour permettre à l'élève de dire ses intentions et ses réticences, ses stratégies et ses impasses, ses réussites et ses difficultés, ses affects positifs et négatifs.
- Faciliter la lecture des situations d'apprentissage par l'élève :
- permettre à l'élève de comprendre la fonction des outils référents à disposition dans la classe (affichages didactiques, cahiers, livres, carnets, répertoires...),
- encourager les échanges avec des pairs à qui il peut adresser sa production tâtonnante et recevoir – en retour – non seulement une aide mais aussi une parole positive (encourageante),
- apprendre à formuler une demande d'aide vis-à-vis de l'enseignant.
- Permettre à l'enfant d'envisager son rôle d'élève selon une nouvelle perspective :
- offrir la possibilité à l'élève de laisser une réponse personnelle (parole, trace) susceptible de le valoriser au plan identitaire,
- favoriser la circulation du savoir de l’élève via les supports (de la classe, de l'aide) entre l'espace protégé (de l'aide) et l'espace social (la classe).
La présence d'un enseignant spécialisé dans une classe a un sens qui a à voir avec la distance que le projet d'aide établit par rapport aux objets d'apprentissage (connaissances, compétences).
Dans la mesure où un détour pédagogique semble opportun pour tenter de rétablir un rapport plus efficient de l'élève au savoir scolaire, des séances d'aide hors la classe peuvent se justifier. Mais quand le projet d'aide porte sur l'acte d'apprendre, le rôle d'élève en somme, des séances en co-intervention peuvent s'imaginer. La pratique nous enseigne qu'un tel dispositif s'avère parfois pertinent dans les situations d'élèves peu autonomes face aux tâches scolaires. Des élèves veulent savoir mais restent indécis dans les apprentissages, face à la consigne posée par le maître, et se tournent vers un autre pour pouvoir se soutenir. Ils ont l'intention d'apprendre, c'est sûr, mais quelque chose les retient. Ils attendent une présence, leur point de repère, pour poursuivre le travail. Manifestement, ces élèves ne veulent pas le perdre et s'orienter seuls.
La présence de l'enseignant spécialisé en classe constitue un appel qui peut être source d'un malentendu du côté de l'élève. Peu enclin à se mobiliser pour comprendre et agir, il risque de voir dans cet autre disponible celui qui viendra le compléter. Or, l'enseignant spécialisé n'est pas là pour faire faire le travail demandé par le (la) maître(sse). Au nom de sa posture qui fait sa spécificité, il est amené à se décaler de cette place où l'élève le voudrait. Son rôle est d'aider à apprendre, ce qui veut dire :
- interroger le positionnement singulier de l'élève face à la demande,
- proposer de l'accompagner à partir de sa décision de se lancer dans l'inconnu.
Quand l'enseignant de la classe attend une production, l'enseignant spécialisé porte son attention à la position et au cheminement de l'élève. Ce qui intéresse l'enseignant spécialisé, ce n'est pas la réponse de l'élève mais que l'élève soit une réponse ! Dit autrement, cet enseignant autre veut que l'élève réponde, invente, pense par lui-même. En cela, il est complémentaire de l'action de son collègue garant des apprentissages programmés.
A la suite du rapport de l'IGEN, le ministère a rendu publique ses premières conclusions sur l'évolution des métiers de l'éducation. La fiche 2 reconnaît une compétence spécifique au maître E et le positionne '' au plus près des écoles et des élèves. '' Les missions des enseignants spécialisés sont ainsi définies :
- '' Aide à l'élève ou au groupe d'élèves qui manifestent des difficultés à comprendre et à apprendre, réalisée dans et/ou hors la classe en fonction des besoins identifiés des élèves, en concertation avec l'enseignant et en visant toujours un transfert de la dynamique d'apprentissage vers la classe. ''
- '' Ressource auprès des équipes pédagogiques des écoles pour l'analyse des difficultés repérées et l'élaboration de réponses adaptées, notamment par la co-construction d'outils ainsi que par des actions de prévention des difficultés d'information et d'accompagnement des enseignants. ''
Quand le rapport de l'IGEN signale qu'un '' nombre significatif de maîtres E font le choix (parfois incités par l'encadrement) d'intervenir en priorité dans le cadre de la classe '', le plus intéressant se trouve dans les parenthèses. Un dispositif de co-intervention ne peut fonctionner que sur la base de l'adhésion des enseignants et des élèves concernés. Une démarche d'aide n'est opérante que lorsqu'elle met en tension le désir d'apprendre de l'élève et le désir des enseignants, la finalité d'apprentissage et les modalités pédagogiques. Au fond, c'est d'abord un sens qui est recherché : ''la dynamique d'apprentissage vers la classe.'' La question du lieu de l'aide est seconde. D'où sans doute cette inflexion apportée à l'orientation forte prônée par le rapport : l'aide peut se concevoir ''dans et/ou hors la classe.''
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