Au secours ! Je n'arrive pas à finir le programme
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Le point de vue d’un chef d’établissement pour aider à déculpabiliser, donner des pistes et attirer l’attention sur plusieurs aspects de la mise en œuvre des programmes officiels et du socle commun.
Et si c’était normal ?
Ne pas arriver à finir le programme, ce serait normal ?
Dit comme cela, c’est un peu provocateur… mais il n’en demeure pas moins qu’avoir l’impression que l’on n’arrivera jamais à « faire tout le programme » est un sentiment partagé par bon nombre d’enseignants.
Or, tous les enseignants font des choix et développent plus ou moins certaines parties du programme. Certains le disent et savent le justifier. D’autres, malheureusement, se sentent coupables et craignent de ne pas être à la hauteur de ce qui est attendu d’eux. Pourtant, ces choix sont légitimes et savoir en faire à bon escient est une compétence attendue de tout enseignant. Une lecture attentive des programmes révèle la marge de liberté, d’initiative et d’obligation laissée à chacun.
Réaliser cela permet, à la fois de cesser d’avoir mauvaise conscience, et de faire des choix de façon plus délibérée et donc plus réfléchie et assumée.
Attention, cependant : s'il est normal que l’enseignant ait une marge de manœuvre, si faire des choix est légitime, chaque enseignant ne peut pas pour autant faire tout ce qu'il veut - ou uniquement ce qu'il veut...
Partant de là... Quelles limites, quels points d’attention ? Et qu’est-ce qui peut aider si l’on a l’impression que le programme est malgré tout trop vaste ?
1. Programme et/ou socle commun
Le socle commun est inscrit dans la loi. Chaque enseignant a donc l'obligation de mettre en œuvre tous les moyens possibles pour permettre à chaque élève d'acquérir les compétences requises.
Les programmes n'ont pas le même statut de loi : il ne s'agit pas de lois mais d'arrêtés. Ils sont régulièrement réécrits, et leur réécriture donne toujours lieu à de longs débats et consultations. Ils ne sont donc pas gravés dans le marbre... mais sont une référence incontournable. On pourrait dire que le socle commun est le point de destination alors que les programmes sont la feuille de route… qui n’interdit pas de faire un petit détour, et de s’arrêter où l’on veut du moment qu’on finit par arriver.
Dans le préambule du socle commun, il est précisé que "Le socle commun ne se substitue pas aux programmes de l'école primaire et du collège. Il en fonde les objectifs..." et que "Le professeur des écoles ne saurait être un simple exécutant : à partir des objectifs nationaux, il doit inventer et mettre en œuvre les situations pédagogiques qui permettront à ses élèves de réussir dans les meilleures conditions".
Il s'agit donc de bien connaître les objectifs fixés par le socle commun, puis de s'appuyer sur les programmes pour atteindre ces objectifs... en gardant à l'esprit que le texte lui-même invite chaque enseignant à ne pas être "un simple exécutant" et donc l'autorise à faire des choix, tout en l'invitant à faire preuve de discernement et de créativité.
À lire sur sitEColes : socle commun et programmes scolaires 2015
2. Partir des élèves
Il peut être libérateur de se dire « Ce n’est pas moi qui « fais » le programme, ce sont mes élèves… ». Mieux vaut en faire un peu moins et s’assurer que ce qui a été fait est acquis et peut être réinvesti par tous les élèves. Mettre en œuvre la différenciation pédagogique, c’est aussi faire des choix… non seulement légitimes mais fortement recommandés !
Lire « Quels programmes pour quels apprentissages à l’école primaire » ? du département Education de l'Enseignement catholique. Cet article débute ainsi : « "Faire le programme" ne suffit pas, il est nécessaire de se demander inlassablement ce que les élèves apprennent, pourquoi ils l’apprennent et comment ils l’apprennent ».
3. Ne pas refaire ce qui est maîtrisé
Partir des élèves, c'est pratiquer l'évaluation diagnostique, ce qui permet plus souvent qu'on ne le croit de découvrir que les élèves maîtrisent déjà bien une leçon sur laquelle on s'apprêtait à passer beaucoup de temps. Si seuls quelques élèves ont besoin de retravailler une notion, prévoir de la différenciation pédagogique ou s'appuyer sur l'aide personnalisée dans le cadre des APC permettra de gagner beaucoup de temps.
4. Garder du recul face aux fichiers et aux manuels*
Souvent, quand un enseignant dit qu'il a peur de ne pas avoir le temps de finir le programme, il veut dire (ou il dit) qu'il craint de ne pas avoir le temps de finir "le fichier". Or, les fichiers et les manuels ne sont pas les calques des programmes : ils reflètent eux aussi des choix - les choix des éditeurs. Les fichiers présentent souvent une notion par page. Or, certaines notions mériteraient d'être plus développées, d'autres constituent des révisions inutiles, d'autres encore pourraient fort bien être laissées de côté en début de cycle...et certaines ne sont parfois même pas au programme ! À chacun, donc, de pendre du recul et se demander si les choix faits par l'éditeur correspondent aux siens et aux besoins de ses élèves, pour ensuite s'autoriser à ne pas tout faire, à ne pas suivre l'ordre proposé, à faire certaines choses autrement. Certes, suivre le fichier peut se révéler sécurisant, et construire ses propres progressions à partir des Instructions officielles (IO) au lieu d'adopter celles des manuels prend du temps... mais c'est très libérateur, et en adoptant cette démarche on finit toujours par gagner du temps en classe.
5. Travailler en équipe
Certains choix personnels, même tout à fait justifiés, auront des conséquences sur le travail des collègues qui auront les élèves les années suivantes. Il est donc important de communiquer. S'il s'agit d'une décision de cycle assumée, il est tout à fait possible de faire varier les répartitions en fonction des compétences, voir des envies de chacun. En parler en équipe permet à la fois de faire disparaitre le sentiment de culpabilité et de repérer les manques éventuels sur le cycle - si personne ne met jamais l'accent sur la musique, par exemple, cela peut poser problème...
Il y a des choix qui ne relèvent pas de chaque enseignant, mais doivent s’inscrire dans une réflexion d’équipe. Le projet pédagogique de l’établissement s’élabore collectivement.
6. Concevoir les apprentissages sur le cycle
Si les programmes sont rédigés par cycle, ce n'est pas par hasard. Il est inutile de travailler toutes les notions dès le début du cycle, et il est normal que les élèves ne maîtrisent certaines notions qu'en fin de cycle.
7. Travailler par tâches complexes : accepter de prendre du temps pour en gagner
Oui, travailler par tâches complexes, ce n'est pas facile, cela demande une formation et une remise en question de l'enseignant. Cependant, tous ceux qui ont adopté cette démarche le disent : au début, on a l'impression de perdre beaucoup de temps en laissant les élèves se confronter à une situation problème pendant plusieurs séances, mais au final on réalise qu'on a gagné du temps. On a en effet travaillé conjointement de nombreux points du programme, et, surtout, les élèves retiennent et réinvestissent beaucoup mieux. C'est donc une piste à ne pas négliger...
À lire sur sitEColes : Enseigner par tâches complexes.
8. S’appuyer sur l’interdisciplinarité
Ca semble logique : travailler plusieurs disciplines en même temps permet de gagner du temps. On a l'impression de passer plus de temps sur un projet interdisciplinaire parce que l'on "saucissonne" moins les apprentissages, mais, au final, tout comme lorsqu'on travaille par tâches complexes, on gagne du temps, les élèves retiennent et réinvestissent mieux. Les deux démarches (interdisciplinarité et approche par tâche complexe) vont d'ailleurs très bien de pair...
9. Penser à la possibilité d’annualiser certains apprentissages sur l’emploi du temps tout en gardant une régularité
10. Remettre en question certains rituels
Certains rituels, importants en début d’année, perdent ensuite leur utilité. On peut donc s’autoriser soit à les faire disparaître soit à les faire évoluer.
Parfois, certains rituels peuvent faire perdre beaucoup de temps en classe sans être pour autant porteurs d'apprentissages. Par exemple, même s'il reste important que les élèves écrivent, ne passe-t-on pas parfois trop de temps à copier des leçons ? Autre exemple, est-il nécessaire de faire réciter toutes les poésies à tous les élèves? Est-il nécessaire de faire apprendre une poésie nouvelle toutes les semaines (ou même tous les quinze jours?) ? Oui, la poésie a un rôle important à jouer dans la maîtrise de la mémorisation, de l'expression orale. Il est important de la faire connaître et aimer. Cependant, remettre en question les pratiques permet bien souvent de gagner beaucoup de temps... tout en rendant les choses plus vivantes et intéressantes !
11. Quelques points d’attention
Cela peut paraître évident, mais cela va mieux en le disant :
- Le programme doit être lu et travaillé par l’enseignant.
- Le programme non fait en classe n’est pas à faire à la maison.
- L’impression que l’on n’aura pas le temps de faire le programme peut, paradoxalement, conduire à laisser moins de place à certaines disciplines pour consacrer plus de temps aux mathématiques et au français. Or, le programme, c’est tout !
Conclusion
Cet article propose quelques pistes dont certaines peuvent sembler exigeantes, mais cela ne doit pas en occulter le message principal (et tout à fait assumé par le Chef d’Établissement que je suis) : il faut cesser de culpabiliser face au programme, occuper les espaces de liberté, faire des choix conscients et assumés.
Ce qui fait la qualité d’un enseignant, c’est moins le fait qu’il ait coché toutes les cases de sa progression que la qualité de son enseignement, son rapport aux élèves, l’attention qu’il porte à chacun, l’enthousiasme qu’il sait faire partager, sa capacité à être créatif, à être différent, à être lui-même tout en restant dans le cadre défini par l’Education nationale.