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Dialoguer avec les parents

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Dialoguer avec les parents

La responsabilité des parents et des enseignants. Vers une logique d'alliance.

La question de la place des parents à l’école donne lieu à une publication du ministère de l’Education nationale intitulée « Les parents à l’Ecole ». Ce document souligne les droits des parents : être informé sur le suivi de la scolarité et du comportement scolaire de leurs enfants, rencontrer les enseignants de façon collective ou individuelle « au moins deux fois par an », être représenté dans les instances de l’école.

La logique d’éducation partagée mise en avant rejoint un souhait de nombreux parents d’élèves. Un sondage d’avril 2014 de l’institut Opinionway pour le journal La Croix et l’association des parents d’élèves de l’enseignement libre (APEL) indique que les parents d’élèves attendent majoritairement des « lieux de dialogue » avec les enseignants. Ils « croient très fortement dans leur capacité à aider leurs enfants, mais en lien avec l’école ».

Parce qu’il est incarné par des personnes – des enseignants et des parents – le dialogue parents-enseignants ne va pas de soi. La reconnaissance mutuelle n’est pas toujours au rendez-vous. Dans l’intérêt des élèves, comment envisager une possible coopération ?

La responsabilité des parents et des enseignants

On est parent avant de l’être, avec son histoire, sa propre éducation, ses principes, l’enfant idéal en soi. On naît parent en tant que père ou mère, à la suite de nos pères et mères. On devient parent, au jour le jour, à travers une naissance, des épreuves et des joies, des conflits et des échanges, des séparations et des activités partagées, des répétitions et des surprises. On apprend à être parent avec ses limites, ses doutes, son angoisse, ses connaissances, ses compétences et ses espoirs. On devient parent avec chacun de ses enfants, uniques, en devenir, au désir irréductible.

Les parents sont multiples. Ils investissent différemment l’école où se rendent leurs enfants.

Etrangers à l’institution scolaire, des parents perçoivent néanmoins l’école comme un lieu d’insertion sociale. Mais leur enfant aux deux appartenances cloisonnées risque de cliver son rapport au savoir.

Distants de la sphère scolaire, d’autres parents appréhendent les rendez-vous à l’école. Ils veulent que leur enfant accède au savoir pour tous et sans doute à une vie meilleure que la leur, mais ils se sentent « inférieurs » quand ils viennent à l’école pour parler aux enseignants. L’enfant aux deux appartenances superposées risque d’établir un rapport au savoir hiérarchisé.

Des parents familiers de la culture scolaire ont la possibilité d’analyser la situation de leur enfant à l’école, d’apporter une aide méthodologique et des connaissances complémentaires. L’enfant aux deux appartenances alliées développe un rapport au savoir marqué par la continuité. Les enseignants contribuent, pour une part, à son épanouissement socio-affectif et intellectuel.  

En se limitant à communiquer des informations pratiques liées à l’organisation ou à l’évaluation « objective » de l’élève, l’école choisit d’ignorer ce que les parents savent de leur enfant. Quand le dialogue parents-enseignants fait défaut, la subjectivité de chacun des protagonistes fait son œuvre et l’incompréhension peut s’installer. Des enseignants sont surpris par l’absence de réaction des parents ou bien par le démarrage d’un suivi extérieur dont ils ne comprennent pas le sens. Des parents sont touchés par des actes ou des paroles des enseignants qu’ils reçoivent comme un jugement de ce qu’ils sont. Le rejet couve quand l’enseignant dévalorise la culture ou le modèle éducatif des parents et, inversement, quand le parent discrédite la pédagogie de l’enseignant. Au bout de ces luttes, souvent inconscientes et toujours stériles, il n’y a qu’un perdant : l’enfant ou l’élève.

Ce qui serait à perdre, c’est justement cette position de toute-puissance dans l’échange avec l’autre, cette idée de convaincre absolument d’une vérité sur l’enfant pourtant inatteignable. Un fort sentiment de propriété entrave parfois la discussion parents-enseignant. « C’est mon enfant ! », dit l’un. « C’est mon élève ! », dit l’autre. Chaque parent espère être écouté et entendu quand il vient parler aux enseignants. Et inversement ! Or, s’entretenir avec les parents, c’est littéralement faire connaissance. Quand on se met à parler, on se met à douter, les certitudes s’estompent et l’interprétation de ce qui se passe émerge. Pour fonder les parents comme sujets, un enseignant devrait poser du doute dans le savoir qu’il peut avoir sur un élève. C’est la base d’un partenariat constructif, la condition du dépassement d’une relation de rivalité.

La prudence dans l’énonciation d’un discours sur l’enfant est d’autant plus nécessaire que cet enfant n’est pas que le prolongement de ses éducateurs. Dans la chronique « Savoir être » entendue sur France-info le 6-06-2015, Claude Halmos le dit ainsi : « Quand on est parent et qu’on a donné la vie à un enfant, il faut soutenir que cette vie lui appartient et qu’on n’en a plus la maîtrise. Accepter ça, c’est toujours très difficile pour tous les parents. On ne le redira jamais assez. » Au fond, chaque parent sait bien que l’enfant de la réalité est toujours décalé par rapport à l’enfant projeté ou idéalisé et chaque enseignant sait bien qu’il n’est pas réductible à l’élève. Il a toute une vie à côté (des amis, des jeux, des activités, des histoires, des aventures, des découvertes, des événements…) et toute une vie secrète (un désir, des rêves, des peurs). L’expression des capacités de l’élève et le développement de compétences peut passer par une voie inattendue et un rythme différent. La logique de l’enfant ne va pas nécessairement dans le sens des attentes des adultes qui l’entourent. « Il faut respecter un enfant comme on respecterait un être de passage », disait Françoise Dolto. En donnant de la valeur à son altérité, ses éducateurs aident l’enfant à gagner de la confiance.

Dans le même temps, éduquer consiste à favoriser l’autonomie de l’enfant, sa capacité à faire seul parmi les autres. En passant du giron à l’école, l’enfant vit une rupture structurante. Il se sépare de l’établissement maternel, du lien de dépendance. Ses nouveaux référents, les enseignants, incarnent en partie le père (symbolique). Ils donnent des repères, nomment ce qui ordonne la vie dans cette institution autre. Dans la plupart des cas, l’enfant y découvre de la continuité et apprend aussi à s’adapter à un fonctionnement différent. Il apprend la complémentarité des lieux d’éducation. L’angoisse de séparation est parfois au rendez-vous de ce passage. Quand l’un des partenaires éducatifs ne joue pas le jeu, l’enfant est dans l’inconfort, voire l’impasse.

Vers une logique d’alliance

Si l’enseignant pense que les parents autorisent et aident leur enfant à devenir élève, il cherchera à les rencontrer. L’entretien individuel avec les parents est un lieu de dialogue  dans la mesure où la parole est donnée effectivement aux parents. L’enseignant qui ne sait pas tout de son élève se positionne alors dans la question et l’écoute. Il accueille les parents comme ils sont, avec leurs réticences et leurs peurs éventuelles. Il entend leur plainte et écoute leur demande, si elle existe. Que disent les parents de leur enfant ? Comment vit-il en dehors de l’école ? Qu’est-ce qui l’intéresse ? Comment se sent-il quand il vient à l’école ? Quels progrès a-t-il faits ? Qu’est-ce qui le met en difficulté ? Comment se passent les leçons ? Comment pourrait se passer la suite de la scolarité ?... Il s’agit de mieux comprendre l’enfant dans sa singularité, mais aussi l’enfant dans sa famille. L’enseignant peut ainsi mesurer l’empreinte familiale sur son désir. Quelles sont les valeurs de référence ? Quelle place est laissée à l’enfant ? Quels liens unissent l’enfant à sa mère, à son père, à sa fratrie ? Quel est le discours des parents sur leur enfant ?...

Le temps de l’élaboration arrive en second. L’enseignant associe les parents à sa réflexion pour comprendre et chercher des adaptations. Face à une éventuelle difficulté, il cherche avec eux comment faire. Il (re)lance la réflexion, sans dévaloriser les intuitions et les initiatives. Il encourage l’audace et la pose d’actes éducatifs. Quelles répétitions repère-t-on dans la famille et à l’école ? Qu’est-ce qui résiste ? Comment comprendre ce qui ne va pas ? Qu’est-ce que chacun pourrait faire pour que l’enfant évolue dans son rôle d’élève ?... La logique d’alliance s’établit pour l’enfant (pas contre lui), dans le sens du respect des places et fonctions de chacun et d’une responsabilité éducative partagée. On est loin de la vérité déversée et du conseil facile !

Le plus souvent, les parents entrent peu dans les classes : au moment de la rentrée, pour la réunion de classe, et, en cours d’année, pour un ou deux entretiens avec le maître ou la maîtresse. Ça se passe entre adultes et dans les mots. Outre les entretiens individuels, il n’est pas interdit d’imaginer ponctuellement des événements préparés et animés par les élèves qui donneraient à voir un parcours d’apprentissage, une représentation de leur travail. A cette occasion, chaque élève ferait connaître ce qu’il peut parmi les autres. Ce qui compte, c’est l’intérêt des parents, ce sont les échanges que ces dispositifs plus informels créent entre eux et avec les enseignants. Toute innovation qui contribue à établir la relation de confiance parents-enseignants est un acte de prévention dans le sens où elle encourage les enfants à participer à la vie de l’école et de la classe.

Conclusion

Pour construire un dialogue parents-enseignants serein, il faut déconstruire certaines illusions. L’élève n’est pas que l’enfant de ses parents. L’enfant n’est pas qu’un élève. L’enfant idéal n’existe pas, l’élève idéal non plus. Le parent idéal n’existe pas, l’enseignant idéal non plus. L’enfant a un savoir sur lui-même. Le parent a un savoir sur son enfant. L’enseignant a un savoir sur l’élève qu’il est.

Pour légitimer sa présence à l’école et autoriser son implication dans les apprentissages, l’enfant a besoin que ses parents et ses enseignants se reconnaissent mutuellement, dans leurs rôles différents et complémentaires. Il a également besoin que ses éducateurs le reconnaissent lui, pour ce qu’il est.

L’alliance avec les parents vise à élaborer une représentation commune de l’activité et de la situation scolaire de l’élève. A l’école, l’élève révèle des limites et des possibles. Dans leurs échanges, les parents et les enseignants peuvent prendre conscience de ses atouts, mesurer ses progrès, adapter leurs exigences, réfléchir aux limites à poser, envisager des aides possibles, anticiper de nouvelles responsabilités. Dans un dialogue réussi, parents et enseignants se font partenaires dans le travail avec l’enfant.

Pour approfondir la question :
- Le livre d’Annie Ernaux, La place (1986, Folio, version poche)
- Un document du ministère de l’Éducation Nationale : Pour un dialogue réussi parent–enseignant, enseignant-parent